Paranoid Paul : drame bis repetita à Saint-Gervais

©Dorothée Thébert Filliger

Rejouer un drame, se le réapproprier, réécrire l’histoire, essayer de comprendre, se déresponsabiliser… Sur fond de harcèlement scolaire, Bastien Sarmento met en scène un texte de Simon Diard pour un résultat cathartique à ne surtout pas manquer.

Catharsis (nom féminin) : Purification de l’âme du spectateur par le spectacle du châtiment du coupable – Synonyme : Paranoid Paul. Le trigger warning de l’introduction de la pièce n’est pas vide de sens tant il est facile de se faire émotionnellement happer par cette pièce qui nous renverra touxtes inévitablement à nos années collège. Bourreaux ou victimes, harcèlement qui ne dit pas son nom, effet de groupe, cruauté adolescente… impossible de ne pas reconnaître dans la pièce de Bastien Semenzato des personnes que l’on a côtoyées (que l’on a été ?), des scènes auxquelles l’on a assisté, plus ou moins impuissant·e·x·s, tolérées, ou contre lesquelles nous nous sommes révolté·e·x·s. Car la force du texte de Simon Diard, admirablement mis en scène par le co-directeur artistique de la compagnie Superprod, est là : les personnages sur scène, c’est nous, nos groupes de potes, avec leurs mythologies propres, leurs anecdotes, leurs jeux, leurs histoires éculées. Cinq jeunes adultes, qui écoutent avec nostalgie les titres autotunés de leur adolescence, chacun sa place, chacun son rôle. Rodé·e·x·s. Sauf que le malaise est bien présent. Dix ans avant la scène à laquelle nous assistons, deux d’entre eux ont disparu, sans laisser de trace. Enfin l’on comprendra vite que deux d’entre eux c’est en fait l’un d’entre eux, Gregg, le leader de la bande et Paul, sa victime de toujours, leur victime à touxtes. Depuis « ceux qui restent » se réunissent, pour rejouer le drame de leur adolescence, pour fantasmer cette disparition, et peut-être la comprendre. Cette fois, la présence d’une personne externe à leur bande leur permettra d’éclairer certains éléments sous un jour nouveau, de réaliser l’ampleur de leur déni.

©Dorothée Thébert Filliger

Dès le début de la pièce, la justesse de l’écriture frappe. Malgré le délire enfantin dans lequel les personnages sont plongés, chacune des phrases sonnent justes tant elles sont criantes de vérité. Sans besoin de plus d’explication, l’on comprend d’entrée de quoi il est question. Et puis ça ne nous lâche plus, Paranoid Paul nous perturbe pendant 1h20, sans répit. On rit, souvent, mais d’un rire cynique, qui accompagne le malaise de ce que l’on comprend entre les lignes. On entre en empathie avec les personnages, que l’on ne peut cependant s’empêcher de juger et condamner. On est renvoyé en continue à ce que nous nous aurions fait à leur place. 1h20 d’intensité pure en somme. Mais la puissance du texte est loin d’être la seule responsable de la réussite de cette sinistre reconstitution. Les comédien·ne·x·s, Coline Bardin, Davide Brancato, Estelle Bridet, Azelyne Cartigny, Antonin Noël et Georgia Rushton, touxtes issu·e·x·s de La Manufacture, portent le propos de la pièce à travers tout leur corps et leur voix. À travers leurs mouvements et intonations, ce ne sont pas seulement leurs rôles qu’ils interprètent mais ce sont également à Gregg et Paul, les deux grands absents, à qui ils donnent vie. Sans jamais nous distraire du propos, la chorégraphie pointue qui guide chacune des interactions entre les personnages nous permet de comprendre les dynamiques sous-jacentes entre les protagonistes.

Propos, jeu d’acteur·rice·x·s, mise en scène, tout est là pour vivre la représentation, au sens le plus littéral du terme. Paranoid Paul est l’une de ces pièce que l’on ressent, que l’on digère et auxquelles l’on pense longtemps. Pour tenter l’expérience, rendez-vous au Théâtre Saint-Gervais jusqu’au 4 mai.

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