Jusqu’au 14 novembre, le Théâtre Alchimic présente Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ?, une pièce de Carole Thibaut mise en scène par Véronique Ros de la Grange. Découverte d’un texte cruel et puissant, servi par une distribution épatante.
Un soir, un père, condamné par la maladie, rend visite à sa fille qu’il n’a pas revue depuis des années. Lui, un vieux bonhomme un peu blagueur, misogyne et cynique sur les bords, vient dans un but précis : demander à son enfant, froide et distante, de l’aider à mourir. Cette visite impromptue débouche sur la résurgence des fantômes d’un passé compliqué, marqué par la violence. Non, cette fille ne peut se résoudre à accepter la demande d’un homme qu’elle croit détester et mépriser. De ce refus s’ensuit une longue joute nocturne lors de laquelle deux êtres vont s’affronter à coups de souvenirs douloureux, de blessures réciproques, de rancoeurs tenaces.
Un texte aussi beau que cinglant
Qu’on se le dise : la pièce présentée à l’Alchimic ne peut laisser indifférent. La puissance des thèmes évoqués frappe de plein fouet un spectateur qui ne pourra que se reconnaître dans les traits de l’un ou l’autre des personnages, tant ils semblent pétris d’une humanité qui les condamne à souffrir malgré un amour que l’on comprend réciproque. Néanmoins, on constate rapidement que ces deux êtres que tout semble opposer ne peuvent se résoudre à vivre sans parvenir enfin à mettre de côté leur amertume et leurs démons. De fait, l’évolution psychologique des personnages demeure des plus intéressantes et nous tiendra constamment en haleine.
Ici, point de mise en scène complexe, mais un réalisme chirurgical. Pas non plus de décor élaboré, simplement un appartement nu et impersonnel. On a donc affaire à un théâtre de la parole. Ainsi, tout passe par le dialogue, et quel dialogue ! On assiste à une heure et demi d’échanges ciselés et féroces. Le spectateur n’est pas épargné par l’évocation d’une relation père-fille dont tous les tabous sont brisés en morceaux et dont l’âpreté des rapports n’est plus mise sous le tapis. En cela, il faut souligner la partition de Camille Figuereo et de Jacques Michel, tout bonnement impériaux dans des rôles bouleversants. Il serait aussi injuste d’oublier la présence soignée de Thomas Diebold en ami de la fille, dont le rôle essentiel d’intermédiaire permettra à la situation de se décanter et de déboucher sur un final poignant.
L’amour, la haine, le pardon
Faut-il laisser les vieux pères manger seuls aux comptoirs des bars ? résonne comme une véritable claque. En effet, rares sont les pièces qui parviennent à véritablement cerner la frontière ténue entre l’amour et la haine. De même, remarquables sont les textes saisissant réellement la complexité des rapports humains et, presque davantage encore, des rapports familiaux. Le récit de Carole Thibaut sonne ainsi comme une formidable réflexion sur la parenté, le pardon, la mémoire et la difficulté d’être. L’émotion et la passion sont là et, au final, l’espoir aussi. Nous aussi nous sommes là. Mais, après une telle représentation, sûrement pas indemnes.
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