Sismes, une ode à la lenteur au cœur du Galpon

Sismes de Marion Baeriswyl et D.C.P au théâtre du Galpon, ©Elisa Murcia Artengo

Il y a quelques mois nous avions discuté avec Marion Baeriswyl, la questionnant sur son quotidien de danseuse confinée. Depuis les théâtres ont rouvert et les artistes ont à nouveau accès à leurs locaux. Aujourd’hui, nous la retrouvons avec son acolyte, le musicien D.C.P, pour une invitation à la lenteur avec leur nouvelle pièce Sismes.

Jouée dans la salle de répétition du Galpon du 6 au 11 octobre, Sismes est une ouverture à un autre temps. Dans un dialogue subtil entre danse, musique et lumière, Sisme s’offre un espace de lenteur dans lequel chacun.e est invité.e à se déposer et observer le présent.

D’une rencontre forcée

Collaborant depuis cinq ans maintenant, Marion Baeriswyl et D.C.P. se sont rencontrés grâce au parti pris du Artung festival, désireux de programmer des artistes aux pratiques complémentaires. De cette première rencontre forcée est née le désir d’approfondir cet alliage de mouvements et de sons. A chercher des échos entre leurs arts, ils ont trouvé des correspondances dans leur réflexion : « A cette époque, on était tous deux plongés dans des questionnements sur le temps. Je l’avais exploré dans ma première création solo en résidence au Théâtre de l’Usine en 2009. Et toi, tu créais tes sons de plusieurs heures, travaillant sur la base de drones ».

« Ce que j’ai aimé chez toi, c’est ton implication au travail, la radicalité de tes démarches. On se retrouve là-dessus », renchérit D.C.P. « Tu vas au fond des choses à y réfléchir, à lire et regarder, puis utiliser ces nouvelles connaissances pour nourrir ton mouvement ». D’un sourire, Marion lui répond : « J’ai trouvé dans ta musique un réel écho. Tu travailles le son comme une matière à en jouer de ses textures, à la concevoir comme un matériau physique et j’aime me loger dans ta musique. Elle m’emporte et m’ouvre à des gestes que je goûte avec plaisir ».

D.C.P et Marion Baeriswyl par ©Nora Teylouni

Un travail à l’écoute

Les sources de Sismes se trouvent dans deux définitions : le géotropisme et le phototropisme – deux mouvements de croissance propres aux plantes, l’un vers la terre par les racines et l’autre vers la lumière par les branches et feuilles. « Avec ces deux mots, on a eu envie d’explorer ce mouvement continu mais d’une extrême lenteur en nous ouvrant à la biologie et aux plantes. On avait beaucoup exploré le lien au sol avec notre deuxième pièce Déjeuner de soleil. Là on désirait autre chose, d’autres chemins dans le mouvement comme dans la musique et le jeu des lumières », nous confie Marion Baeriswyl.

Sismes de Marion Baeriswyl et D.C.P au théâtre du Galpon, ©Elisa Murcia Artengo 

Une fois ces deux mots posés sur le papier, D.C.P et Marion ont plongé dans de nombreuses lectures. « Notre premier temps de travail est vraiment celui de la recherche théorique. On se renseigne énormément. On creuse chacun de notre côté, puis on en discute. On lit rarement les mêmes ouvrages, puisque nos pratiques ne demandent pas les mêmes nourritures. Mais on discute de tout ce qu’on lit pour se faire un terreau commun. Une fois qu’on en a bien parlé et que les thématiques se précisent, et une fois qu’on a trouvé un lieu de résidence, on se lance dans des improvisations. C’est un jeu d’écoute où l’on est attentif aux propositions de l’un comme de l’autre. Puis à nous aussi, à ce qui marche dans un mouvement ou un ressenti pour Marion et pour moi dans un son, une transition, des accidents aussi puisque je bosse sur bandes magnétiques. On a la grande chance de pouvoir travailler du début à la fin ensemble ».

On pourrait s’attendre à de l’improvisation au plateau, mais pour nous une attention au présent se situe dans un chemin prédéfini et précis. C’est là que surgissent les instants saisissants, quand le regard peut se soulever du chemin qu’il connait et observer ce qui l’entoure.

« Après ces temps d’improvisation assez longs, on se sépare tout de même », complète Marion. « C’est nécessaire pour aller dans la profondeur de nos propositions. On le fait aussi côte à côte dans nos bulles, mais prendre de la distance permet la joie de se retrouver et l’énergie renouvelée pour la suite. Tout est très écrit dans nos pièces. On pourrait s’attendre à de l’improvisation au plateau, mais pour nous une attention au présent se situe dans un chemin prédéfini et précis. C’est là que surgissent les instants saisissants, quand le regard peut se soulever du chemin qu’il connait et observer ce qui l’entoure. Alors on cisèle, affine, travaille la pièce jusqu’à la rendre fluide, lisible et pour Sismes jusqu’à en faire une seule et même phrase, un mouvement qui se déploie, musicalement comme physiquement ».  

Sismes ou une envie de lenteur

Installée dans la salle de répétition du Galpon, sous une toile blanche tirée juste en dessous des poutres de bois, révélant la fenêtre et les arbres qui entourent le théâtre, Sismes est une pièce pensée comme un environnement. On y entre pour trouver place à l’extérieur du tapis de danse reflétant lumières et corps. « Le premier jet de Sismes s’est fait en extérieur. Et, malgré certaines résistances, on a été conquis par l’idée. C’est pourquoi on a demandé cette salle de répétition aux murs blancs et fenêtres, plutôt que la salle de spectacle noire. On voulait la lumière du jour. On aurait dû jouer cette pièce au printemps avec la lumière du jour par la fenêtre et les Velux, malheureusement ça n’a pas pu se faire. Mais grâce au travail de Bérénice Fischer et Alain Richina la scénographie et les lumières réinvitent ces atmosphères baignées de soleil », nous explique D.C.P. évoquant le report de la pièce en raison de la crise sanitaire.

©Elisa Murcia Artengo

Offrir un espace de lenteur dans nos vies qui courent, voilà l’un des éléments central de Sismes. Que ce soit par le corps ou la musique, l’invitation à décrocher du temps, pour observer et écouter ce qui est là, se fait naturellement. Modifiant le rapport au présent, chaque détail a sa place. Parfois visible, parfois si ténu que caché, chaque changement est traité avec grand soin pour un dialogue constant entre musique, lumière et danse. Pour Marion Baeriswyl, la lenteur a cette force de rendre visible l’infime. Dans un effet de zoom, elle guide le regard : « C’est ce que j’aime profondément dans la lenteur, ce moment de décrochement où l’attention est portée entièrement à un doigt, à un geste. Mais aussi à une sensation. Ce moment contemplatif, de proximité avec le public. La lenteur offre un espace à soi. Et personnellement, l’exploration purement physique de la lenteur me passionne. Elle m’ouvre à un état de conscience si précis et pourtant dans un va-et-vient continu entre le dedans et le dehors. Prendre le temps de la lenteur, c’est un droit et un besoin à revendiquer aujourd’hui ». D.C.P poursuit : « Je suis entièrement d’accord. Pour ma part, la lenteur permet de mettre en lumière ce qui est là en dépouillant. C’est un son présent depuis le début mais couvert par un autre qui apparaît. C’est ces changements que l’on ne perçoit que plus tard parce que la transition n’a pas été repérée. Le jeu des transitions a une saveur différente dans la lenteur et demande une précision, comme une écoute ».

La lenteur c’est un état de présence à soi et aux autres qui métrite une place plus grande dans nos vies. 

Jouée jusqu’à dimanche, Sismes est à découvrir de toute hâte au Théâtre du Galpon, de quoi s’offrir un temps de respiration.

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