David Clerc : Paris-Fribourg aller-retour

(c)David Clerc

Depuis près de 15 ans, l’artiste peintre David Clerc vit et travaille à Paris. Du 20 octobre au 18 novembre 2017, ses travaux récents seront exposés à la galerie Hofstetter, à Fribourg. Je l’appelle alors qu’il vient juste de faire le trajet de ses quartiers d’adoption à sa ville d’origine.

(c)David Clerc

Allô David, salut ! Tu es où, là ?

A Fribourg, pour installer l’exposition. Je garde un contact assez étroit avec ma ville d’origine et avec cette région. J’ai par exemple exposé à la galerie Le Cube, à Estavayer, ou encore posé à Romont un grand vitrail kaléidoscopique réalisé avec le verrier Michel Eltschinger.

As-tu un pied à Paris et l’autre à Fribourg ?

Non, pas seulement : je travaille et expose principalement à Paris, mais aussi dans la galerie Bagnato à Constance, qui participe à la foire d’art de Karlsruhe. C’est une foire centrée sur la peinture, je suis très content de pouvoir y être. En fait, c’est un peu les hasards qui décident où je vais…

Ok, et si je t’avais rencontré quand tu sortais du dernier truc qui t’a passionné, tu m’aurais dit quoi ?

Samedi dernier, je suis allé voir une expo de Giorgio Morandi à Paris, tu connais ? C’est un peintre mythique pour moi, et assez rare. Sa peinture peut paraître austère : des petits formats, presque uniquement des bouteilles… mais c’est très graphique. J’ai eu la chance que quelqu’un m’en parle le dernier jour de l’expo, et j’y suis allé. C’était en plus une expo très complète, avec une cinquantaine d’œuvres ; proportionnellement à sa production, c’est beaucoup !

Quelle est la dernière chose qui t’a fait rire ?

Euh… bonne question… j’arrive plus à me souvenir (rire). Ah si ! (Rire) C’est pas forcément publiable, mais bon… J’anime aussi des ateliers avec des personnes handicapées et des personnes âgées, et… (rire) …il y a une dame assez grande gueule, Marie-Thérèse, t’as l’impression qu’elle est sortie d’un film des années 1940, avec sa gouaille parisienne et tout. L’autre jour, elle était énervée contre tout le monde, et une autre vieille dame a lancé : « Marie-Thérèse ! on la baise ! », ensuite, elles n’arrêtaient pas de s’emmerder : « t’es toute blanche ! », « et toi, t’es toute grise, Marie-Thérèse ! » (Rires)… Dans ces ateliers, j’ai déjà dû stopper des combats à coups de cannes…

(c)David Clerc

Tu as voyagé aujourd’hui de Paris à Fribourg, est-ce qu’il y a un moment qui t’a marqué dans ce trajet ?

Pas un moment en particulier, mais j’ai apprécié la très belle lumière : il faisait gris quand j’ai quitté Paris, et en arrivant en Bourgogne, il y avait cette lumière d’automne. Je me suis laissé bercer…

Je crois savoir que tu fais beaucoup de balades dans la nature, notamment en forêt, et pourtant, tes peintures sont hyper axées sur la ville et les immeubles, comment ça se fait ?

C’est vrai que j’aime la nature, mais je fais pas mal de balades dans la ville aussi. Je tourne en rond dans ce labyrinthe, je m’imprègne du lieu dans lequel je vis. A Fribourg, mon environnement, c’était les bois et la nature. En arrivant à Paris, j’ai commencé par des croquis de façades et des paysages urbains, qui deviennent des aquarelles, puis des peintures. Ces travaux très en plan entraient en écho avec des peintures que j’aimais regarder, notamment l’art construit, avec Aurélie Nemours, ou l’abstraction géométrique de Sean Scully. Pour ma part, je pars toujours d’un point de départ tiré du paysage pour aller ensuite dans l’abstraction. Tout ce que je peins provient de quelque chose que j’ai vu.

Toi qui t’imprègnes de ton environnement immédiat pour tes peintures, est-ce que tu rêves d’une nouvelle résidence pour une prochaine étape ?

Alors complètement, et c’est d’ailleurs en cours, pour différentes raisons… ça fait un moment que ça me trotte dans la tête. Venant de la campagne, je n’avais jamais pensé que Paris me plairait autant : j’ai adoré cette ville et je l’aime toujours beaucoup, mais après avoir lu des romans de Jim Harrison, qui vivait dans des cabanes un peu partout aux Etats-Unis, j’ai eu envie de partir dans la nature. Cet été, je suis allé en Bretagne ; je suis tombé assez dingue de cette région et de la maison où on était, et comme il y a la possibilité de la louer, on va certainement s’y installer pour un an. J’aurai un peu plus d’air, un peu plus d’espace. Je pourrai travailler dehors, même en hiver ; je ne sais pas trop ce que je vais peindre, mais j’imagine que ça va transformer un peu mon travail. Je suis emballé par cette région de bocages, à une demi-heure de la mer.

(c)David Clerc

 

J’ai trois repères sur la peinture de David Clerc : ce que mes yeux ont vu et ce qu’ils ont trouvé sur la toile entre 2012 et 2015. Avant que Lothar n’ait balayé l’Europe, David avait brossé des personnages tragiques et colorés. 10 ans plus tard, il ramenait des paysages en vibrations urbaines N/B. Aujourd’hui, il élabore des répétitions graphiques.

Pour moi, ces répétitions graphiques, ou ces échos, sont une évolution, mais elles ne représentent pas vraiment une coupure avec ce que je peignais avant : elles ne proviennent pas de mon imaginaire, elles prennent leur source dans des façades ou des paysages observés. C’est comme un rétrécissement de focale, pour le dire ainsi. Et après, il y a ce travail pictural : dessin, aquarelle, re-dessin et ainsi de suite… et ça devient graphique.

Va-t-il y avoir un livre ou un autre support qui donnera la possibilité de suivre ce processus pictural, du paysage perçu au travail abstrait ?

C’est pas vraiment prévu. Il y a eu un projet de livre, mais il faudrait que je relance tout ça. J’aurais bien envie de présenter la démarche en tout cas, peut-être sous forme de film, on verra. A la galerie Hofstetter, je présente des travaux récents, dissociés de leurs sources. C’est pour ça qu’ils n’ont pas de titres : je n’avais pas envie d’en donner, j’ai préféré laisser l’ouverture.

Peux-tu me raconter le plaisir pictural que tu éprouves du premier croquis à cette épure rythmique à laquelle tu arrives en toute fin de parcours ?

Euh… j’espère que je n’en suis pas à la fin ! (Rires.)

Oulà, moi non plus ! Pardon : terme mal choisi.. Je veux dire jusqu’au dessin fini si tu veux.

(c)David Clerc

Non mais je rigole ! Oui, il y a une forme de plaisir… après, dans la peinture, c’est plutôt que je me sens embarqué vers une intuition, et je me laisse passer d’une façade ou d’un paysage à un dessin. C’est comme si en te baladant tu suis un chemin jusqu’à te perdre un peu, et là, tu découvres un beau lac, par exemple. Tu vois ? C’est ce côté aventureux qui me porte : j’avance à tâtons. Ensuite ce qui me fait avancer ou me nourrit, ce sont aussi des aspects techniques : j’ai par exemple travaillé la gravure sur bois pour une collaboration avec le poète Arthur Bidegain, cette technique m’a bien plus : on tâtonne, on creuse, et à la fin, il y a cet à-plat très net.

Je m’intéresse au bâti, et au milieu dans lequel je vis. Quand je voyage, je prends un carnet de dessin, mais je ne retravaille pas forcément ces croquis pour des tableaux. Les groupes urbains qui m’intéressent sont ceux que je peux retourner voir : en hiver, en été, le soir, le matin… Ce que je vois dans mes voyages peut m’inspirer d’une façon souterraine, mais pour mes tableaux, j’ai besoin de fréquenter le sujet régulièrement, de créer une relation, de m’éloigner de la représentation et de transmettre des mélanges de sensations éprouvées. A certains moments, ça peut virer à l’abstraction.

Ressens-tu ton approche comme minimaliste ?

Ouais… même si je ne sais pas trop ce que ce terme recouvre vraiment. Une artiste comme Agnès Martin, par exemple – même si elle s’est toujours défendue d’être considérée comme minimaliste – ou d’autres, me parlent : je suis sensible à une peinture qui peut avoir quelque chose comme une certaine idée du silence, de l’épure. A contrario, je n’entre pas volontiers dans des peintures bruyantes… En ce qui concerne mon travail, je pourrais parler de condensé, vu que le dessin fini est le résultat de nombreuses visites. Visites qui, comme les rythmes architecturaux répétés à l’infini, finissent par se répondre comme un écho.

Comment vois-tu ta peinture s’inscrire dans le monde ?

C’est une vaste question ! Elle s’inscrit dans le monde comme elle peut… Elle fait partie du monde comme une petite goutte, et ça peut être gratifiant si elle apporte ou évoque quelque chose, si elle entre en résonance avec telle ou telle personne…

A part aux murs, à quoi s’accroche-t-elle, ta peinture ?

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Tu veux dire :  quelles correspondances je peux trouver ? Eh bien je ne suis pas forcément un fan d’architecture par exemple (rire) : les bâtiments que je peins ne sont pas toujours ceux que je trouve les plus beaux. Parfois oui, parfois non : je les peins surtout parce qu’ils font partie de mon environnement. J’entre plus volontiers en résonance avec des écrits, par exemple l’univers fascinant de Jean-Claude Pirotte. Quand j’ai fait sa connaissance, j’ai eu l’impression profonde de rencontrer un frère : il y avait quelque chose de vraiment raccord. J’aime sa façon de parler des choses. On a fait ensemble un livre qui n’est jamais paru, car Pirotte est mort en 2014 avant que le projet ne soit achevé.

Je vois dans ta peinture quelque chose de l’ordre de la régularité et du statique, est-ce que je suis à côté de la plaque ?

Mmh… Statique, je suis pas tout à fait d’accord. Je fais ce que je fais, et le regardeur a aussi son interprétation, mais je parlerais plutôt d’un mouvement très lent : dans les répétitions, il y a de la nuance, une forme de mouvement ; pas nécessairement expressionniste, pas rageuse… Quelque chose de plus retenu, un mouvement comme un souffle paisible.

 

Les tableaux de David Clerc sont visibles sur deux sites en cette fin d’octobre : en vrai à Fribourg, et virtuellement dans la Chambre des visiteurs. Deux manières très différentes de les proposer aux regards. A la galerie Hofstetter, elles sont présentées parallèlement à celles de deux autres peintres : Paul Brunner et Thomas Grogg.

Connais-tu les travaux de Brunner et Grogg ? Que peux-tu en dire ?

Non, pas plus que ça. Je suis allé voir sur internet. C’est le choix du galeriste de nous réunir. Jean-Jacques Hofstetter réunit toujours plusieurs artistes. En l’occurrence, il me semble que le choix n’est pas anodin : il y a des résonances entre nos travaux. Chez Thomas Grogg, il y a aussi un rapport au paysage, de manière assez abstraite. C’est traité différemment, mais pas si loin de mes peintures, même si le résultat est très différent. Avec Paul Brunner, il me semble qu’il y a moins de liens directs, même s’il a beaucoup travaillé sur un thème qu’il appelle paysages cursifs, et plus de couleurs. Je me réjouis de les rencontrer et de découvrir leurs travaux.

(c)David Clerc

La galerie Hofstetter est un lieu particulier en ceci qu’elle est tenue par un artiste. Est-ce que ça se remarque, pour les artistes qui y exposent, et si oui, en quoi ?

Ouais… pour avoir eu à faire à pas mal de galeristes, c’est sûr qu’un galeriste artiste ça peut être intéressant, mais tu as des galeristes qui ne sont pas artistes et qui ont un très bon œil. Chaque rencontre avec un galeriste est aussi une rencontre humaine. Après, pour Jean-Jacques, c’est surtout une personnalité chaleureuse, une belle personne.

Sur le site de sa galerie, à l’onglet présentation, il y a, en plus d’un texte, des photos avec des petits écrits manuscrits que je trouve très beaux. On dirait que le galeriste a eu à cœur de s’exprimer de manière artistique…

Ah oui, je suis en train de les regarder, là. Oui, et en plus à Fribourg, cette galerie, c’est une institution : ça fait 20 ans, et il est toujours motivé. Ça force le respect parce que tenir une galerie n’est pas toujours évident.

C’est un lieu qui pourrait figurer un jour dans un livre d’histoire sur les galeries suisses, voire européennes, parce qu’il y a eu des artistes prestigieux…

Oui ! Et c’est ça qui est intéressant aussi : il est à Fribourg, il ne va pas dans les salons internationaux, il expose de jeunes talents du coin, et tout à coup, tu as des gens hyper connus. Il fait un travail sérieux, qui lui attire une reconnaissance à l’extérieur, auprès des artistes comme auprès de grandes galeries.

(c)David Clerc

Est-ce que tu as une envie autour de cette expo ?

Après l’accrochage, je vais surtout me mettre à travailler pour une prochaine expo à Mézières. Sinon, comme c’est la première fois que je serai dans la région pour une période assez longue, je vais profiter de prendre le temps, de rencontrer des gens, de revoir des amis, de traîner à Fribourg, d’aller me promener dans les Préalpes, si j’en ai le temps. Me poser un peu, ça me fera une coupure. Voilà pour ce qui est prévu… Puis après, c’est comme en peinture : tu ne sais jamais trop ce qui va arriver !

Que peux-tu nous dire de tes projets à venir ?

Au mois de novembre, je participe aux 10 ans du musée du papier peint, à Mézières. J’utilise à nouveau la gravure sur bois – c’est une des techniques utilisées pour préparer le papier peint –  j’y présente une matrice tactile d’à peu près 50 carrés, qu’on peut déplacer pour composer un dessin. C’est inspiré à la fois du jeu de taquin et du château qui abrite le musée… Sinon, j’attends une réponse du Mans pour quelque chose au mois de mai.

 

Comment est l’atelier de David Clerc ? Probablement simple et fonctionnel, convivial aussi et très ouvert au silence. Evidemment, c’est à Paris, donc on parle d’un silence tout relatif…

Ouais, c’est un peu comme ça. En effet, le silence est très relatif : tu entends le voisin qui marche, la porte qui s’ouvre ; des livreurs viennent toquer à la fenêtre… Mais c’est pas trop bruyant. De toute façon, quand tu écoutes le silence, par exemple dans une forêt, il y a toujours quelque chose. A part ça, à Paris, les endroits sont assez petits. Mon atelier, c’est l’endroit où je vis, et j’apprécie beaucoup ça : par moment, ça te sort par les oreilles, mais ça permet aussi d’alterner les moments où tu travailles et ceux où tu vis. J’aime pouvoir revoir ce que j’ai travaillé, regarder mes peintures en cours mais pas forcément de manière active, prendre le temps de les observer, du coin de l’œil, en passant, et tout à coup, il peut y avoir un déclic, comme involontaire quelque part…

 

(c)David Clerc

Paul Brunner / David Clerc / Thomas Grogg

Atelier-galerie J-J Hofstetter – Rue des Epouses 18 – 1700 Fribourg

du 20 octobre au 18 novembre – jeudi et vendredi : 14h-16h30 – samedi : 10h-12h & 14h-16h

Vernissage le 20 octobre dès 18h.

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