La série Éditons ! s’ouvrait, il y a quelques mois, avec l’envie de découvrir le milieu éditorial genevois. Pour clôturer ce premier aperçu de l’artisanat du livre à Genève, EPIC-Magazine est allé à la rencontre du Cercle, association rassemblant éditeurs·trices et libraires.
Le chemin qu’emprunte le livre pour passer de l’imagination des auteurs·es à celle des lecteurs·trices reste obscur au plus grand nombre : éditeur·trice, imprimeur, diffuseur, libraire. Le Cercle de la Librairie et de l’Edition Genève s’inscrit dans la rencontre et l’échange entre ces intermédiaires indispensables à la vie du livre, parce que faire un livre ce n’est pas juste l’imprimer – comme les entretiens d’Éditons ! ont pu le démontrer. Après le travail de fabrication du livre, il y a celui de la promotion et de la distribution auprès de la presse, mais avant tout auprès des libraires, puisque c’est chez eux, en grande partie, que les livres sont vendus et qu’ainsi ils rencontrent leurs lecteurs·trices.
Dans l’arrière-boutique de la librairie nouvelles pages à Carouge, la présidente actuelle du Cercle Véronique Rossier et Véronique Gendre de Livresse, prête à prendre la relève, se sont arrêtées, le temps d’un café, sur les enjeux d’une pareille association. « L’un des rôles essentiel du Cercle est le dialogue qu’il permet entre les acteurs·trices du livre. Parce que l’éditeur·trice a besoin du·de la libraire pour que ses livres soient lus, et le·la libraire de l’éditeur·trice pour faire découvrir de nouveaux ouvrages à ses clients·es et remplir ses rayonnages. Ce lien entre nous est important à maintenir. Quand un·e libraire membre désire organiser un événement, une lecture par exemple, il·elle peut aller directement chez un·e éditeur·trice membre et regarder ensemble quelle rencontre serait intéressante à mettre sur pied. »
L’enjeu est de rendre visible le travail des éditeurs·trices au travers des librairies, en favorisant ces échanges libraires-éditeurs·trices guidés par le plaisir premier du livre.
Des débuts au siècle passé
L’envie d’allier ces deux professions et de forger ce lien ne date pas d’hier. En 1906, se créait l’Association amicales des commis libraires de Genève. En guise de réponse à la question des premières années du Cercle, Véronique Rossier s’approche de l’une des armoires murales de l’arrière-boutique, un tour de clef, et de l’armoire elle sort un carton, Archive Cercle 1906, et du carton deux albums dont le premier registre de l’association. Il est indiqué en première page que l’association a pour but « d’entretenir entre ses membres des relations de bonne camaraderie ainsi que de veiller au développement de ces membres ». Puis elle présente un album de photographies, plein de souvenirs de soirées et de voyages organisés entre membres, cartes postales, menus, le tout ponctué de commentaires dans un ton humoristique.
En feuilletant le registre ainsi que l’album, Véronique Rossier et Véronique Gendre tombent, toutes deux, sur une date marquant « l’histoire de la librairie genevoise ». Le 24 octobre 1952, une fusion de l’association est opérée avec la section genevois de l’Association Romande du personnel de la librairie et de l’édition (ARPEL), association en place depuis 1866 et toujours active à échelle romande sous le nom d’Association Suisse des Diffuseurs, Éditeurs et Libraires (ASDEL). En 1971, elle prendra son indépendance et deviendra le Cercle de la librairie et de l’édition Genève.
Les buts restent les mêmes qu’au début du siècle dernier. On cherche toujours à mettre en valeur et promouvoir les membres de l’association, ainsi que le livre en lui-même, un livre local et passionné.
Se rassembler pour oser la singularité
« Avoir un réseau de librairies et d’éditeurs·trices est crucial et surtout très riche, puisque chacun·e à son identité. » Au niveau de l’édition, vingt-neuf maisons sont présentes au sein du Cercle. Rassemblées, elles couvrent de nombreux genres littéraires et font preuve d’une grande diversité allant du roman à la bande dessinée en passant par la poésie et la littérature jeunesse, de publication scientifique, architecturale, à des livres d’art ou des livres plus expérimentaux. Pour ce qui est des librairies, chacune a ses spécificités propres, leur libraire étant des lecteurs·trices constamment à la recherche d’ouvrages à faire découvrir. Ainsi le même livre ne sera pas présenté de la même façon dans chacune d’elle et ne sera pas entouré des mêmes ouvrages. « En tant que libraire, il y a toujours quelque chose qui me fait sourire, une phrase des clients : Vous n’auriez pas par hasard tel livre ? » En cœur Véronique Rossier et Véronique Gendre répondent : « Je n’ai rien par hasard ! » Puis la présidente du Cercle poursuit : « Tous les livres présents en libraire, et dans toute librairie, sont des choix conscients du·de la libraire. Des choix et des envies, des volontés de rendre visible, lisible un ouvrage. C’est pareil pour l’éditeur·trice, ce ne sont que des choix, des envies et la volonté de publier pour rendre visible, lisible un·e auteur·e, un texte. Très peu de maisons membres du Cercle vivent de leur travail, peut-être six sur trente, alors leurs choix sont des choix de passion. C’est ce qu’il y a de beau quand on est libraire, voir le cœur mis à l’ouvrage pour qu’un livre fasse son chemin, à l’image d’une croisade, pour arriver entre les mains de lecteurs·trices. »
« Il y a quelque chose de militant dans ce que défend le Cercle, avec un livre local. On note un retour au commerce de proximité, à ce lien humain que l’on a pu perdre ces dernières années avec de grandes enseignes. Ce qui fait le nœud central du Cercle, c’est le cœur et la passion que chacun·e y met, que chaque pierre sur le chemin du livre est posée avec cœur : de l’auteur·e au libraire en passant par l’éditeur·trice – tous ces gens qui se lèvent chaque matin pour faire l’artisanat du livre. » note Véronique Gendre de Livresse.
Une présence sur plusieurs fronts
« On a différentes façons de soutenir nos membres et de mettre en avant le livre ; il y a les manifestations par exemple. C’est d’ailleurs l’une des premières choses auxquelles le public pense : le Salon du livre ou La Fureur de lire. » Depuis 2006, le Cercle est présent au Salon du livre de Genève avec un espace composé de vingt-cinq exposants, une scène avec sa propre programmation et un café. Mis en place avec la collaboration de la Ville et du Canton, le stand du Cercle a pour vocation de débattre des questions d’écriture et de fabrication du livre, permettant une rencontre avec les professionnels·les du monde littéraire. « Ce qui nous plaît beaucoup, c’est ces contacts entre nous, les échanges avec les lecteurs·trices, mais aussi les jeunes que l’on rencontre lors d’ateliers. C’est l’occasion parfaite d’encourager la lecture d’auteurs·es romands·es, mais aussi de rappeler le rôle des libraires et des éditeurs·trices indépendants·es »
Acheter un livre romand dans une librairie indépendante est un acte citoyen et il nous tient à cœur de le faire comprendre par divers moyens.
« Nous avons, il y a trois ans, écrit une petite brochure cherchant à promouvoir le livre papier et cette action d’acheter un livre dans notre circuit de librairies. Et ainsi de promouvoir les divers acteurs·trices du Cercle, sachant que le·la libraire mettra en avant parmi d’autres livres ceux des éditeurs·trice du Cercle. » Cette brochure écrite par Alain Berset et Pascal Rebetez redore l’image du livre papier, régulièrement bousculée d’un côté par son prix, souvent incompris, mais aussi par les offres de livres numériques et d’achats en ligne. « Le livre c’est un cadeau, il faut penser au travail derrière pour qu’il arrive jusqu’au papier, au temps que ça a pris, et à la liberté que permet le livre, la liberté que nous avons ici, à Genève, d’avoir autant de choix, autant de voix. » déclare Véronique Rossier avec aplomb.
Dans cette démarche de sensibilisation du public aux questions du livre papier, le Cercle s’est associé à la carte 20ans20francs. Chaque détenteur·trice de la carte peut récupérer un bon de vingt francs valable dans plusieurs librairies du Cercle, en se rendant à la Maison des arts du Grütli. « L’État a mis à disposition mille bons de vingt francs valables sur l’ensemble de la libraire ainsi que sur les coups de cœurs des libraires, mis en avant pour l’occasion. Avec cette action, on espère faire rentrer des jeunes dans nos librairies, à la fois pour qu’ils lisent, mais aussi pour qu’ils découvrent l’envers de la chaîne du livre au détour de conversations. Et s’ils prennent l’habitude, grâce à ces bons, d’aller chez un·e libraire de quartier dès que l’envie leur prend d’un nouveau livre, alors on aura tout gagné : nous libraires, mais aussi éditeurs·trices et auteurs·es. » L’entretien se termine sur ces mots de Véronique Gendre.
Les activités et engagements du Cercle dépendent beaucoup de l’actualité culturelle du moment. Ainsi avec Culture lutte ou Oui au livre, le Cercle avait pris position en faveur du livre papier et de ses acteurs·trices. Le but du Cercle est avant tout de rassembler ses membres pour les mettre en avant et faire découvrir leur travail. Dans ce cadre-là, leur site internet est un lieu à retenir : entre liste des membres et événements de chacun·e d’eux·elles, dernières sorties des éditeur·trice·s et rencontres.