Depuis le 10 avril, le Théâtre Alchimic propose une adaptation du Procès de Franz Kafka, chef-d’œuvre intemporel de la littérature mondiale. Plongée dans un monde absurde, oppressant et inquiétant où l’individu n’a plus sa place.
Il ne fait nul doute que transposer un roman en pièce de théâtre est un exercice périlleux, d’autant plus lorsqu’il s’agit de l’un des ouvrages les plus lus et commentés du XXe siècle. C’est du moins le pari osé – et réussi – qu’a pris le metteur en scène Daniel Wolf avec Processus Kafka, qui narre les mésaventures de Joseph K., banquier arrêté le matin de son trentième anniversaire et accusé lors d’un procès dépourvu de sens d’un délit dont il ignorera jusqu’au bout la nature.
Tout en reprenant les dialogues du roman, Daniel Wolf adapte à sa sauce un récit qui nous interroge sur le caractère arbitraire de la justice et de la loi. L’atmosphère absurde du Procès est admirablement portée à la scène : Joseph K. semble spectateur d’un effroyable cauchemar sans fin dans lequel se bousculent des personnages tentateurs, mesquins, contradictoires. L’étrangeté qui caractérise le roman d’origine est matérialisée par la horde de microphones présents sur scène, dans lesquels les personnages doivent presque obligatoirement s’exprimer pour être audibles. La mise en scène se révèle ainsi novatrice tout en demeurant pertinente, car elle rend parfaitement compte de la déchéance du personnage principal et de l’espace écrasant duquel, bien que libre de ses mouvements, il ne peut s’échapper.
Au cours de la pièce, le spectateur oscille constamment entre anxiété, indignation et rire face au sort du malheureux accusé. On rit, oui, malgré la détresse de K. On rit du ridicule et de l’absurde qui entourent le procès d’un homme qui clame son innocence tout en ne connaissant pas son crime. De fait, la grande force de cette adaptation est la mise en valeur du comique inhérent à l’œuvre de Franz Kafka, tout en ne tombant jamais dans l’excès et la caricature. Processus Kafka rend également hommage à son inspiration en choisissant de ne pas relater les évènements décrits dans le roman de manière linéaire : il faut en effet savoir que l’auteur pragois a entamé l’écriture de son ouvrage par la fin. Dans cette adaptation, certains passages du Procès sont donc décalés, intercalés, recomposés, tout en assurant une authenticité au texte. Le résultat donne une pièce aussi vivante, complexe et onirique que le roman, pendant laquelle le spectateur n’a pas le temps de s’ennuyer.
Dans ce décor sombre, impersonnel, tiraillé entre le gris et le vert, Joseph K., brillamment interprété par Jean-Aloïs Belbachir, revêt son habit d’homme ordinaire, pris dans l’engrenage d’un système qui le dépasse. K., antihéros sans nom flottant dans un costume grisâtre, se fond dans le décor, ne fait plus qu’un avec l’univers oppressant dans lequel il évolue, signe qu’il n’est peut-être qu’un prétexte, un figurant, une victime parmi tant d’autres d’un monde totalitaire qui nie l’existence de l’espèce humaine et de son droit à la dignité. Dès lors, quel espoir peut-on avoir face à la justice et à notre monde ? Processus Kafka est profond, philosophique, fondamentalement kafkaïen. Daniel Wolf et ses comédiens ont su utiliser avec panache la théâtralité présente dans le roman original pour nous offrir l’espace de deux heures une admirable adaptation de l’œuvre de ce génie qu’était Franz Kafka. Une pièce troublante et saisissante à découvrir jusqu’au 29 avril à l’Alchimic.
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