Next Stop au Galpon, pour un théâtre musical et gestuel

crédit : Elisa Murcia-Artengo

Jusqu’au 30 août, le Théâtre du Galpon propose la pièce Next Stop de la compagnie La Temeraria. Elle met en scène plusieurs personnages en proie à une crise existentielle au moment où leurs téléphones portables cessent de fonctionner. Ce spectacle d’une heure drôle et original saura inaugurer comme il se doit une nouvelle saison spéciale mais palpitante du côté des bords de l’Arve. Et le 28 août à 20h30 après la représentation se tient au Galpon la soirée d’anniversaire d’EPIC-Magazine ! Entretien avec le metteur en scène de Next Stop, Hèctor Salvador Vicente.

Pourriez-vous vous présenter personnellement ?

Je m’appelle Hèctor Salvador Vicente. Je suis originaire d’Espagne, plus précisément d’un petit village du sud de la Catalogne. Je me suis d’abord formé comme ingénieur en télécommunications avant d’entrer petit à petit dans le milieu théâtral. Je me suis occupé d’un certain nombre de tâches techniques dans les théâtres de ma région, notamment à Valence, ce qui m’a permis de voir les coulisses du métier. 

Et votre envie de devenir comédien/metteur en scène, de quand date-t-elle ?

Je dois avouer que je suis entré tard dans le milieu du théâtre, vers les 26 ans seulement. Sauf si on compte les spectacles de fin d’année durant mon école primaire, dans lesquels j’aimais déjà jouer (rires.) En réalité, je ne viens pas d’une famille d’artistes. Ce sont des gens de la montagne, des bergers, loin du milieu culturel à la base. Je suis d’abord arrivé dans la comédie par le biais du métier de clown d’hôpital que j’exerçais en Espagne. Je pratique encore cette activité depuis que je suis arrivé à Genève en 2016. Je trouve cela tellement passionnant, c’est un vrai enrichissement pour moi. Avant de venir en Suisse, je sentais néanmoins le besoin de me perfectionnier et d’approfondir ma vision de la création théâtrale. J’ai donc décidé de suivre l’école internationale de théâtre LASSAAD à Bruxelles.

Que vous a apporté cette expérience dans cette institution ?

Cet approfondissement de mes connaissances de mise en scène a tout changé. Cela m’a surtout permis de voir des choses que je ne percevais pas auparavant sur le plateau. Je voulais pousser plus loin ma conception du jeu et du travail dans l’espace. C’est d’ailleurs à Bruxelles que j’ai connu Justine, qui est désormais ma copine et qui joue également dans Next Stop. À la fin de mon cursus, je n’avais pas envie de rentrer en Espagne vu la situation économique. Nous avons donc décidé d’aller en Suisse, où j’ai créé ma propre compagnie de théâtre La Temeraria. 

Pourquoi cette envie de créer votre compagnie ?

Je désirais mettre en avant mes propres propositions artistiques. Par exemple, je ne me vois pas comme un simple clown, mais davantage comme un personnage tragi-comique. Ce genre de rôle avec une densité supplémentaire ne peut pas vraiment m’être donné dans mon métier, c’est pourquoi j’ai voulu acquérir la liberté de m’imposer mes propres choix. Je voulais concevoir quelque chose de plus personnel en livrant une vision singulière de la scène et du théâtre. J’ai donc créé cette compagnie en 2017. Next Stop est le premier projet conséquent que je porte avec La Temeraria.

Next Stop s’inscrit dans le genre du théâtre de rue. D’où vient votre intérêt pour cette forme théâtrale ?

C’est sans doute lié à une certaine démarche, un parti pris précis, mais aussi à mes origines. Si on y pense bien, la rue n’est pas, en général, le premier endroit où les gens ont accès à la culture. Or, j’aime particulièrement aller dans des petites bourgades où il n’y aucune structure théâtrale, et jouer sur la place du village. Avec le théâtre de rue, on peut amener un spectacle n’importe où, car notre matériel est rapidement démontable. Ce qui est beau avec ce genre et ce qu’il implique, c’est que l’on rencontre des gens d’horizons tout à fait divers et souvent peu liés au microcosme culturel des grandes villes. J’aime également le fait d’être mobile et de pouvoir m’adapter à toutes les conditions. Par ailleurs, dans le monde méditerranéen, beaucoup de moments de vie importants se déroulent dans la rue. Ainsi, en Espagne, après la fin de la dictature dans les années 80, tout le monde est sorti à l’extérieur pour retrouver une forme de liberté et jouer la comédie. On pouvait souvent voir des artistes de rue monter aux balcons des habitations. J’ai été particulièrement marqué par cela dans mon enfance.

D’un point de vue méthodologique, que change la mise en scène de théâtre de rue si on la compare à celle du théâtre traditionnel ? 

Cela dépend. On peut par exemple plus facilement casser le quatrième mur dans le théâtre de rue, ce qui est un exercice périlleux à réaliser en salle. L’accueil du public est également un peu différent. Personnellement, j’ai toujours envie d’inclure le public et de lui dire explicitement « on va jouer devant vous, on est maintenant ensemble ». Dans la rue, il y a besoin de ce premier contact entre les comédiens et les spectateurs. De plus, en extérieur tout est fait pour que la pièce ne soit pas mise en valeur. (rires.) Les éléments peuvent facilement se liguer contre nous, alors que l’on est plutôt épargné lorsque l’on joue en salle. Toutefois, pour Next Stop, on a désiré s’imposer à l’espace, en adaptant quasi parfaitement la cour arrière du Galpon.

Dans Next Stop, les comédien·ne·s chantent à plusieurs reprises. Pourquoi cette volonté d’explorer cette piste-là ?

Pour moi, le chant représente une forme de libération. Quand on chante, on est très proche de son moi profond. Il faut aussi savoir que j’aime beaucoup styliser les choses et les mots. Je trouve cela passionnant de travailler sur des variations de tonalités, ce qui nous sort des échanges du quotidien. Mais paradoxalement, c’est une pièce où on ne parle pas, il n’y a pas de dialogue. Il n’y a pas de texte que les comédien·e·s doivent déclamer.

Justement, pourquoi proposer un spectacle non pas verbal mais « gestuel » ?

Déjà, tout le théâtre, même classique, contient du geste. Au-delà du langage, il est évident que la communication entre êtres humains est constituée à 80% de signes non textuels. Proposer un spectacle sans dialogue nous permet également de nous affranchir des barrières linguistiques, ce qui universalise le tout, d’autant que les comédiens de Next Stop sont d’origines tout à fait diverses. D’ailleurs, le pitch de la pièce, qui évoque cinq expatriés travaillant dans une métropole cosmopolite, sied bien à Genève. Et puis, j’ai été très inspiré, en créant ce spectacle, par le film Playtime de Jacques Tati, où la parole compte peu alors que les gestes veulent tout dire.

Dans le cinéma de Jacques Tati, il y a une forme de satire des outrances de la société de consommation. C’est également le propos de votre pièce, qui parle de notre dépendance aux téléphones portables. Comment vous est venue l’idée d’aborder ce thème-là ?

C’était suite à une discussion avec mon père. Il faut savoir qu’il est très bavard et qu’il peut entamer une conversation avec n’importe qui, sans forcément avoir besoin de connaitre la personne au préalable. Un jour, il est rentré du médecin et m’a dit, désemparé : « C’est fou, aujourd’hui plus personne ne se parle, car tout le monde est sur son téléphone ! » Cette remarque m’a fait réfléchir, d’autant qu’elle me touche assez personnellement vu que je suis ingénieur en télécommunications à l’origine. J’ai tout de suite compris qu’il y avait quelque chose à creuser.

Pourtant, il ne semble pas que vous vouliez porter un discours moralisateur sur l’utilisation des cellulaires, n’est-ce pas ?

Exactement. On cherchait surtout à évoquer les peurs humaines à travers ce spectacle, et dans ce cas précis la peur de perdre son lien avec ces objets. J’aurais détesté que le résultat soit un énième discours manichéen sur les dangers des technologies modernes. Les téléphones portables sont un formidable outil souvent très utile, mais il existe des abus et des excès qu’il est intéressant d’explorer. J’aimerais simplement montrer que les téléphones ne doivent devenir le centre de nos vies. On doit vivre avec, sans être déterminés par eux. 

Vous utilisez l’humour pour parler d’un sujet aux conséquences parfois assez dramatiques sur le plan humain et social. Pourquoi cela ? Est-ce une meilleure manière de faire passer un message ?

Cela a d’abord à voir avec mon métier de clown. Quand je travaille à l’hôpital, je constate qu’il y a beaucoup de difficultés dans la vie. Cela ne sert donc à rien de rester dans le solennel en permanence, car j’aime la décontraction, d’autant qu’il existe toujours un bon côté des choses ! Mais cela ne veut pas dire que tu ne peux pas être critique pour autant. Je suis convaincu que l’on on peut mieux faire passer des messages à travers l’humour. Pour prendre une image, c’est quand le beurre est bien fondu que le couteau peut plus facilement le couper. (rires.)

Quelle a été votre manière de diriger les comédien·ne·s sur cette pièce ? Aviez-vous déjà travaillé avec ces artistes auparavant ?

Non, nous n’avions jamais travaillé tous ensemble, mais j’avais déjà eu la chance de collaborer avec certain·e·s. Pour Next Stop, je cherchais vraiment à exploiter les qualités de chacun·e, afin que tout le monde puisse faire en sorte que ses talents profitent aux autres. Je désirais avant tout créer une forme de symbiose et une dynamique de groupe efficace. Au final, on a pris le meilleur de chacun·e, et on est vraiment parvenu à obtenir un résultat satisfaisant qui met en valeur le jeu de tous les acteur·trice·s.

Dans quelle mesure le confinement a-t-il impacté votre travail sur ce spectacle ?

L’impact du confinement sur notre travail a été énorme, et pour être franc, cela n’a pas été très positif. Nous avions obtenu deux résidences, où nous aurions pu jouer notre pièce : au Théâtre de l’Unité dans le Jura français et dans l’université de ma région en Espagne. Malheureusement, nous avons dû annuler tout cela, ce qui nous a posé pas mal de soucis logistiques et financiers. Avec les conditions actuelles, il est plus difficile de faire connaitre la compagnie et le travail que nous avons effectué sur ce spectacle. Néanmoins, on peut toujours compter sur le grand soutien du Galpon. De plus, on garde encore en tête l’idée de monter la pièce ailleurs par la suite, surtout que l’on tient à conserver cet aspect itinérant, en jouant dans des endroits parfois imprévus.

Quel est votre sentiment actuel quand vous regardez le travail accompli sur ce projet ? Vous sentez-vous prêt ?

Oh, la compagnie ne s’appelle pas la « temeraria » pour rien ! (rires.) On n’est jamais vraiment prêt en réalité, surtout au théâtre, car tout peut toujours être amélioré. Tout peut être réglé et ajusté, ce qui est assez frustrant au final. Il y a toujours de quoi retoucher, et les comédien·ne·s le sentent également. C’est toutefois un deuil nécessaire que l’on doit faire, d’autant que je suis personnellement très fier et heureux du résultat final !

Pour finir, que diriez-vous pour donner envie au public de venir voir cette pièce ?

Next Stop, c’est frais et hors des standards de la « mode ». On peut à la fois rire, s’interroger et être touché. Je dirais aussi que le tout est particulièrement dynamique : ça bouge et ça passe vite !

Pour toutes les infos relatives à la pièce, voir ici. Et n’oubliez pas la soirée d’anniversaire d’EPIC le vendredi 28 août à 20h30 au Galpon, juste après la représentation de Next Stop !

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