Le Covid n’aura pas raison du Fesses-tival cette année, le festival qui ose parler de sexualité, sans tabou ni préjugé. Cette édition revient néanmoins de manière revisitée afin de respecter les mesures sanitaires tout en garantissant une programmation stimulante. Au sein d’une proposition plus restreinte, il sera possible de visionner une sélection de courts-métrages mais aussi de participer à des discussions-ateliers, comme celui qui propose de fabriquer son propre porno bio, éthique et local. De tels mots que l’on côtoie dans notre vie de tous les jours, mais que l’on associe peu au thème subversif de la pornographie.
EPIC s’est prêté au jeu des questions-réponses avec Aline Boeuf et Margot Chauderna à l’origine de l’évènement, afin de tout savoir avant de se lancer !
Pour vous, parler de fesses, de porno, ce n’est pas tabou ? Pourquoi ? Et comment délier les langues, notamment lors de votre discussion ?
Aline : Pour moi, parler sexualité, c’est parler de beaucoup de choses à la fois : de santé, de bien-être, de relations humaines. C’est une activité qui s’accompagne de découverte, de routine, de questionnement, d’événements malheureux. Et donc ça me paraîtrait aberrant de ne pas en parler. Quand je parle de porno, je parle de ma sexualité et de mon imaginaire (qui sont intimes, privés), mais je parle aussi des normes, de culture visuelle, de la société. C’est donc un sujet politique, pour moi il y a une forme de militance dans le fait de parler du porno.
Margot : J’ajouterais que c’est d’autant plus intéressant d’en parler que, justement, une espèce de tabou persiste dans le domaine. Alors que c’est un sujet qui traverse la vie d’une écrasante majorité de personnes, et qu’en plus on est souvent très tôt confronté.e.x à la pornographie en Suisse (et ailleurs) – vers 10-12 ans on a la plupart du temps déjà vu des images. Et pour la question de délier les langues, je pense que le fait que le Fesses-tival soit un espace plutôt intime et safe, avec des valeurs claires de consentement et de bienveillance, et un rejet strict de toutes formes de discrimination, cela aidera beaucoup !
Pourquoi avoir participé à l’appel à projets du fesses-tival ?
On avait travaillé ensemble sur un rendu sur la thématique des pornographies critiques pour un cours à l’Université de Genève, “Actualité sexuelle” donné par Eric Fassin. Le sujet nous avait plu, on avait atteint les exigences académiques, et ça aurait très bien pu s’arrêter là. Mais on se demandait si on ne pouvait pas aller plus loin avec ce sujet, s’il n’y avait pas un moyen de poursuivre notre recherche par exemple. Finalement, on a vu l’appel à projet du Fesses-tival et on s’est dit que c’était l’occasion de sortir de l’académique pour présenter le sujet à une nouvelle audience.
La dimension éthique dans le porno fait de plus en plus apparition, dans les podcasts ou les divers traitements de la sexualité avec un grand S. Pour vous, pourquoi faut-il aujourd’hui réconcilier les gens avec le porno en justement réaffirmant une appréhension plus respectueuse du corps et du plaisir ?
Avec les images (mais aussi avec d’autres contenus), on construit notre pensée, notre rapport aux corps, à la beauté. Le porno c’est un agent de socialisation, comme la publicité. En réconciliant les gens avec le porno, on pourra faire en sorte de mieux maîtriser cet agent de socialisation, de mieux formuler les messages qui sont diffusés et faire du porno un outil éducatif et de diffusion d’une beauté et d’une sexualité diversifiées et inclusives. Si on n’investit pas les productions de pornographies, on laisse des gens – quasiment toujours des hommes hétérosexuels cisgenres – produire des images violentes, normatives et avilissantes avec des impacts sur notre vision de la sexualité et des corps.
On parle de bio partout, mais c’est presque incongru de l’utiliser lorsque l’on parle de porno. En fait, en quoi ça consiste un porno bio ?
On a voulu faire une analogie, en partant de la nourriture bio. On voulait proposer une approche du porno loin des normes esthétiques de l’hétéronormativité et de la blanchité, proposant d’autres corps que les corps minces, les corps modifiés avec tous types de chirurgie esthétique comme la labiaplastie ou le blanchiment anal… On voulait exprimer que le porno peut être un espace mettant en scène des corps qui sortent des critères de “calibrage” (comme les fruits et les légumes dans le commerce).
Porno éthique et porno féministe, c’est quoi la différence ?
Le truc avec la pornographie non mainstream, c’est qu’il en existe plein. Alors au départ, on se perd dans les appellations : porno féministe, porno alternatif, porno artistique, porno éthique, porno indépendant… Et en plus, parfois, les contenus ne s’inscrivent pas clairement dans un de ces genres, mais regroupent les caractéristiques de plusieurs types de porno à la fois. Par conséquent, il est tout à fait possible qu’un film soit à la fois éthique (se soucie du consentement des participant.e.x.s, leur offre des conditions de travail et une rémunération respectables, rejette les contenus avilissants) et féministe (se réapproprie le médium pornographique en apportant un point de vue désirant féminin).
Le terme “local”, qu’implique-t-il dans votre discussion-atelier ?
Comme pour le terme “bio”, c’est une analogie avec l’agriculture et avec la production. On a repris l’idée des circuits courts, en opposition avec l’ubérisation de la pornographie sur internet, avec des plateformes comme Pornhub qui ne produisent pas de contenu, ce qui a pour conséquence de grandes difficultés de financement des productions et donc des rémunérations dérisoires pour les acteur.trice.x.s.
Avec la dimension “locale”, on propose que l’individu soit scénariste, réalisateur, producteur, distributeur de sa pornographie. Un circuit court qui permet d’avoir du porno qui nous plaise esthétiquement, qui respecte nos valeurs et qui nous excite vraiment. Un porno qui nous ressemble
Comment redorer l’image du porno qui a parfois une dégaine sale et clichée, sans parler de son caractère hétéronormé ?
En disant aux gens que c’est à nous de redorer cette image, en soutenant les productions qui offrent du contenu de qualité, esthétiques, éthiques, qui nous excite vraiment. Inviter les gens à défier les normes de l’industrie pornographique, c’est l’objectif du porno queer, une des formes de pornographiques critiques actuelles. C’est en consommant bien et en s’impliquant dans la production de porno qu’on pourra s’éloigner du caractère hétéronormé et cliché des productions mainstreams – tout en ayant accès à du contenu qui nous plait !
Que pourra-t-on expérimenter et apprendre pendant l’atelier en termes de discussion mais aussi et surtout de pratique ?
L’atelier se divise en plusieurs parties. On va passer un peu de temps à présenter les différentes pornographies critiques existantes en se concentrant sur les productions vidéos. On demandera aux gens de prendre quelques minutes pour s’interroger sur différents points en lien avec le porno (pourquoi en consommer, comment le consommer…) et ensuite il sera temps de passer à l’atelier. Pas de tournage ou de performance durant l’événement, mais un atelier d’écriture et de création guidé par des questions éthiques.
A qui s’adresse cet évènement ? A des personnes déjà “bien avancées, bien affirmées” dans leur sexualité ?
On ne connaît pas le profil des participant.e.x.s, et cela importe peu. L’atelier s’adresse à toute personne ayant envie de prendre contact avec ses fantasmes sexuels tout en se questionnant sur leur construction, et sur la nécessité de suivre une éthique lorsque ceux-ci sont mis en images ou en mots. Les personnes fâchées ou dégoûtées par le porno mainstream devraient (si elles le désirent) pouvoir reprendre contact avec la production pornographique grâce à une démarche plus proche de leurs envies et de leurs valeurs.
Mais on espère aussi surtout que ce sera un moment de partage fun et créatif, le but n’est pas de se prendre la tête ! On a d’ailleurs préparé des idées de pornos qui nous plairaient à nous deux, et on se réjouit d’en discuter…
Dernière question bonus : quelle est la plus belle paire de fesses que vous avez jamais vue ?
Aline : Les miennes ?! Merci le porno amateur ! En voyant des images de moi dans un contexte sexuel, j’ai réévalué l’idée que je me faisais de mon corps. C’est d’ailleurs l’un des aspects positifs de prendre part à la réalisation de son porno : s’autoreprésenter, c’est valider sa valeur, son agentivité. D’abord dans le porno mais ensuite cette valeur, cette agentivité peut être transposée à d’autres sphères (professionnelles, politiques…) Faire du porno, c’est une forme de militance et d’empowerment.
Margot : Et c’est mieux que vous restiez sur la réponse d’Aline qui est top, parce que moi j’allais répondre un truc hyper gnangnan en lien avec mon amoureux dont j’aime beaucoup les fesses. Mais quand j’aurai vu mes propres fesses dans un porno, je vous rappelle !
Le Fesses-tival aura lieu le 18, 19 et 20 septembre au Spoutnik : rue de la Coulouvrenière 11 à Genève.
La discussion-atelier du dimanche 20 septembre sur “fabrique ton porno bio, éthique et local” est complet, mais aura lieu dès 14h !