Depuis le 26 mars, le Théâtre Alchimic présente la pièce La Panne, adaptée d’après le roman de l’auteur suisse Friedrich Dürrenmatt. Plongée d’une heure dans un huis clos étrange et oppressant, où la justice est devenue une parodie.
Ils sont quatre. Quatre anciens acteurs du système judiciaire, désormais retraités : un juge, un avocat, un procureur et un bourreau. C’est en raison de la panne de son véhicule qu’Alfredo Traps, représentant de commerce de son état, se retrouve accoudé avec eux à ce bar un peu désuet. Ces drôles de personnages sont en effet réunis pour se rappeler les beaux moments de leur ancienne profession et, surtout, pour mettre en scène de nouveaux procès, tout en étant désormais débarrassés du pesant appareil judiciaire. Problème : il leur faut un accusé – ou plutôt un coupable. Ils proposent ainsi à Alfredo de se joindre à leur petit jeu et d’endosser ce rôle vaquant. L’homme accepte et devient petit à petit la victime de coups bas, de plaidoiries aberrantes et d’accusations douteuses…
Cette pièce résonne comme une formidable réussite tout d’abord scénique et technique, avec un décor pertinent, rappelant les bars américains des toiles d’Edward Hopper, accompagnés de leurs inébranlables juke-boxes. Cette scénographie met donc parfaitement en exergue la solitude et l’abandon d’Alfredo face à ses accusateurs, tout comme la musique de fond, qui accompagne la déchéance du personnage principal. L’éclairage est également particulièrement réussi, tant il permet au public de s’imprégner de l’ambiance sombre et trouble qui règne sur le plateau. Certes, le rythme est parfois lent mais cela est nécessaire : cette monotonie permet d’amplifier l’atmosphère pesante et énigmatique qui se dégage des discussions entre les différents protagonistes. La direction des comédiens demeure également totalement maîtrisée : ils endossent ainsi à merveille le rôle d’hommes de loi éméchés et étranges, dont le cynisme, le calme et le manque d’humanité dérangent, interpellent et surtout… font rire.
La Panne se révèle être une pièce prenante, drôle et réellement dérangeante, tant elle interroge notre conception de la justice par la parodie, l’absurdité et le sarcasme. Elle condamne en effet une société où seule la culpabilité intéresse l’opinion publique, et où la présomption d’innocence ne joue aucun rôle. Cette société cherche ainsi avant tout le spectacle et le scandale, usant sans vergogne de la manipulation, de la rhétorique mensongère et de la caricature, plongeant par conséquent dans l’arbitraire. Grâce à son rattachement au thriller psychologique, avec son suspense prononcé, La Panne pose en face de nous des questionnements fondamentaux : où est la vérité ? Qui la détient vraiment ? À nous d’essayer de la trouver à l’Alchimic jusqu’au 16 avril, en tâchant d’oublier pour un instant un monde où la fiction demeure toujours plus séduisante que le réel, et où l’Homme n’est jamais totalement innocent.
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