Mei Fa Tan et le Music Video Contest

Mei Fa Tan est une jeune fille souriante, une espèce de lutin malicieux qui rit beaucoup et déborde d’énergie. Réalisatrice freelance suisse, elle s’est spécialisée dans les clips musicaux. Rentrée de Cuba en 2013 et désolée de voir que rien ne se passait, elle a décidé d’occuper son été et de lancer, il y a donc maintenant trois ans, The Music Video Contest, un concours dont le gagnant obtient le budget pour un clip qu’elle se charge de réaliser.

« Après c’est devenu un peu plus sérieux, un peu plus conscient et construit, mais c’est vrai que c’est surtout parti de l’envie de faire avancer les choses et de ne pas se limiter. Si j’ai lancé cette initiative, c’est aussi parce que j’ai la conviction qu’il y a les talents en Suisse qu’il faut pour. C’est juste que ce n’est pas une priorité absolue, ici, de promouvoir ces artistes-là. Je pense qu’on a un univers artistique extrêmement riche : il y a des musiciens et tu trouves des groupes suisses qui font tout. On a un paysage artistique qui est très riche et je pense que c’est un peu dans la culture suisse de ne pas idolâtrer les gens de manière générale. Quand il y a une célébrité qui passe dans la rue, on ne va pas lui courir après… Et du coup, c’est vrai qu’on a un peu ce côté réservé et que les gens sont des gens avant d’êtres des « stars » ; on ne starifie pas forcément les artistes, ce qui n’est pas plus mal peut-être… » Mei Fa Tan réalise, produit, s’occupe de chercher le financement (les sponsors de cette troisième édition sont Les Hivernales de Nyon, qui font jouer le groupe gagnant, la ville de Nyon, Le Magasin de Musique à Gland, auxquels il faut ajouter des subventions publiques). Très souvent limitée par le budget qu’avaient à disposition les musiciens faisant recours à elle, le concours naît aussi du fait que « c’est vite cher d’avoir une équipe, le matériel, etc. » ; du coup, elle s’est dit : «Voilà, par année, je fais un peu « ce cadeau » de trouver ce qu’il faut, de mettre en place les équipes dont on a besoin pour permettre à un projet d’exister. »

© Ludovic Matthey
© Ludovic Matthey

C’est à l’occasion de la fin de cette troisième édition que le clip Thanks to Mary, du groupe Alice Roosevelt, est sorti le 3 mars dernier, et que nous avons pu en apprendre un peu plus et interviewer Mei Fa Tan:

Alice Roosevelt, c’est un groupe que tu connaissais déjà ?

Je connaissais le batteur, qui jouait dans un autre groupe: on avait bossé ensemble deux-trois fois sur des petits trucs. Mais les autres membres du groupe, pas du tout. C’est aussi un peu le but : créer un échange, ouvrir un peu et pas que ça devienne du copinage.

Ils jouent ensemble depuis combien de temps ?

Une année, deux ans… Quand Josef of the Fountain s’est séparé, ils ont monté Alice Roosevelt, avec quelques changements de membres. Comme c’est le premier concert qu’ils ont fait sous ce nom, en présentant leur EP et leur répertoire musical, c’était un peu un lancement. Alice Roosevelt était la fille de Théodore Roosevelt, mais c’est aussi une variété de tomate, pour l’anecdote !

Ça te donne plus de liberté pour le clip, puisqu’ils n’ont pas encore d’identité visuelle, non ?

C’est clair qu’on peut définir plus de choses ensemble… Bon, après, c’est intéressant aussi de contribuer à l’image visuelle d’un artiste qui a déjà une identité forte, parce que tu as un support solide sur lequel te baser. Mais les deux sont cools ! Là, on pouvait vraiment faire un peu ce qu’on voulait. Ils voulaient juste qu’on n’ait pas peur de « choquer » et j’ai dit « OK ! Vous voulez le faire comme ça, on va le faire comme ça. » Après, ce qui est important pour moi, c’est que le groupe soit content du résultat : je ne peux pas n’en faire qu’à ma tête parce que si eux sont tristes du résultat, ça n’a plus aucun sens. Il faut que tout le monde soit content. Ce n’est pas toujours facile, mais là, je crois qu’on a réussi, donc ça va. (rires)

© David Lamon
© David Lamon

J’ai vu qu’ils avaient enregistré un EP. Ils l’ont fait parce qu’ils ont gagné et que c’était l’occasion ?

C’est un peu les deux, dans le sens où pour s’inscrire au concours, il faut déjà composer un morceau. Ils m’ont envoyé une maquette de Thanks to Mary et ils étaient de toute façon en train de bosser sur leur premier EP, mais le fait de savoir qu’il y avait la date aux Hivernales, que le clip sortait, ça les a vraiment boosté à finir tout dans les temps. Peut-être que s’il n’y avait pas eu tout ça, ils auraient pris quelques mois de plus. Comme quoi c’est assez stimulant !

Pour le clip, vous fournissez aussi la session studio ?

Non. Non, je m’occupe vraiment de tout ce qui est vidéo. Les gens s’arrangent pour l’enregistrement. En général, la plupart des artistes ont déjà enregistré, et ce n’est pas « mon domaine »… Et s’ils ont enregistré un album chez quelqu’un, je ne vais pas leur faire enregistrer un morceau chez quelqu’un d’autre. C’est absurde. Quelque part, ça crée aussi une sélection entre les groupes qui font juste répéter dans leur garage de temps en temps et qui jouent une fois à la fête de l’école un morceau et ceux qui veulent avancer.

Comment est-ce que tu travailles, une fois que le gagnant est annoncé ?

Je connais déjà les morceaux, puisque c’est là-dessus qu’ils sont jugés. Je leur avais dit que je ne pensais pas que c’était utile de les mettre eux à l’image, parce que je trouvais le morceau très visuel, et qu’on pouvait faire plein d’autres choses. Ils étaient tout à fait sur la même longueur d’ondes, et avaient aussi quelques demandes, donc quelques ambiances qu’ils voulaient dans ce clip, et moi j’ai un peu apporté le reste, et on a fait… On a fait ça.

© David Lamon
© David Lamon

Ça te laisse une liberté formidable, de ne pas être obligée de caler dans les refrains de gros plans sur les musiciens !

C’est clair. Après, il y a des band-play qui sont très bien, et je n’en dit pas de mal, j’en fais aussi. Mais disons que ce projet, quelque part, je ne le vois pas comme une commande. C’est un truc que j’explique aux artistes dès le début ; c’est une collaboration et moi aussi je dois pouvoir « vendre » ce projet sur les années d’après pour pouvoir de nouveau avoir des subventions, donc il faut que ça reste à peu près personnel.

Avant le tournage, qu’est-ce qu’il se passe donc, concrètement ?

Déjà, on valide le scénario. Donc je fais des propositions, ils valident un concept et après on l’approfondit un peu pour que ça joue. Ensuite, j’ai été assistée par un assistant réalisateur qui s’est occupé d’organiser tout ce qui était planification pour le tournage : les horaires, les demandes d’autorisation, toutes ces choses-là. Après, un peu tous ensemble – enfin, lui, moi, le directeur photo – on a trouvé des lieux qui jouaient bien. Puis c’est parti quoi. Au final, c’est pas si compliqué que ça. Ça demande de l’organisation, mais quand on sait les choses qu’il faut faire, ça joue. On dit toujours « le réalisateur », mais s’il n’y a pas l’équipe de quinze personnes derrière qui font le boulot, ça ne sert à rien. J’ai eu beaucoup de chance.

Tu as fait passer des auditions pour les acteurs ?

C’était assez particulier. Pour le rôle de Joseph, donc le protagoniste, j’ai trouvé l’acteur sur les sites de casting. On s’est rencontré autour d’un café, on a regardé si ça matchait, et ça a plutôt bien fonctionné. Pour le rôle de Mary, c’était un peu plus compliqué, parce que c’est un profil spécial. Au début, je n’étais pas absolument convaincue de ce choix-là, et j’ai dit à Patrick, le chanteur, que je voulais bien qu’on prenne un homme, mais « tu le trouves ». Du coup voilà : il a dû trouver Mary. On l’a rencontré, et ça c’est très bien passé. J’attendais d’être convaincue en fait. J’avais beaucoup de peine à me projeter au début, et il fallait vraiment que je vois quelque chose de visuellement parlant pour que je dise « OK, on le fait ! ».

© David Lamon
© David Lamon

Comment s’est passé le tournage?

Super bien ! On a tourné pendant trois nuits dans la région d’Yverdon. C’était très intense. Je pense que le groupe ne s’attendait pas à ce que ce soit autant lourd logistiquement en fait, en terme d’équipe, de matériel et plein de choses. Mais c’était vraiment top. On avait des techniciens nickels ! Ce sont des gens avec qui j’ai l’habitude de travailler, du coup, j’étais assez confiante. Il n’y a vraiment pas eu de souci, à part la pluie, mais ça on ne pouvait pas faire grand chose, donc on s’est dit que ça allait aller. Ça s’est vraiment super bien passé.

Que retires-tu de l’expérience de ce troisième Music Video Contest ?

J’ai envie de montrer qu’on peut faire des choses et qu’il faut juste, enfin pas « juste », se bouger, mais qu’on peut faire bouger gentiment les choses, qu’on peut monter des projets et qu’au final, les gens ont envie de faire ces projets et qu’il y a des choses à faire. Ce concours, c’est aussi une opportunité, je pense, pour les musiciens. Alice Roosevelt, ce n’est pas un groupe qui est produit: ils font tout eux-mêmes et ils s’en sortent bien. Mais, typiquement, avoir un clip avec ces moyens-là, c’était quelque chose d’impensable, en dehors de cette initiative-là. Ils auraient sans doute fait un truc sympa entre eux, je ne dis pas, mais pas avec ce niveau. Je pense que c’est un vrai podium : il y a eu le concert, ils ont quand même pas mal de petits articles à droite à gauche dans la presse locale et puis je pense que l’ensemble est quand même assez stimulant. Et moi ça m’encourage aussi de voir qu’ils en tirent profit, et que ça leur sert à quelque chose. Je me dis que je n’ai pas fait tout ça pour rien ; pour moi, c’est gratifiant.

En dehors du concours, dont elle est en train de préparer la quatrième édition, Mei Fa Tan a d’autres projets de clips, et travaille notamment au montage d’Anachronisme de LEO2R; pour suivre son travail et obtenir toutes les informations pour le prochain Music Video Contest, c’est ici. Alice Roosevelt, quant à eux, cherchent du soutien pour pouvoir presser leur EP et en faire de jolis vinyles; pour les aider, c’est par . Ils joueront en première partie de Teleman au Romandie le 4 mai prochain!

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