Summer Break au Théâtre du Loup, entre réel et fiction

crédit: Magali Dougados

Jusqu’au 17 mars, le Théâtre du Loup propose la pièce Summer Break, une création mettant en scène l’audition de quatre comédiens pour Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Rapidement, la prestation de ces jeunes acteurs en devenir va tourner au cauchemar, révélant une fracture de moins en moins nette entre le réel et la fiction. Entretien avec la metteuse en scène Natacha Koutchoumov.

Pourriez-vous nous parler de vous, de vos origines familiales, de vos études, de votre carrière ?

Je suis née à Genève et je suis d’origine franco-russo-anglo-italienne. Je suis partie faire mes études aux Etats-Unis, à New York, puis à Paris, où j’ai étudié les lettres et commencé à m’immiscer dans le monde du théâtre. J’y ai passé des concours d’écoles de théâtre nationales et j’ai eu la chance d’intégrer l’ENSATT, une école de dramaturgie assez célèbre. À l’issue de cette expérience, j’ai pu rapidement participer à la création de pièces, surtout à Paris. Malgré tout, j’ai gardé en parallèle mes origines suisses, car je suis souvent retournée à Genève, où j’ai fait du cinéma d’auteur. J’ai donc une sorte de double cursus cinéma-théâtre, ce qui m’amène souvent à réfléchir quant aux particularités de ces deux arts, tant au niveau du jeu d’acteur que de la dimension purement technique. Aujourd’hui, je dirige la Comédie de Genève, qui est encore un autre domaine.

À quel moment cette passion pour le théâtre s’est-elle déclarée chez vous ?

J’aime le théâtre depuis toujours, il s’agit d’une passion qui remonte à mon enfance. La fiction est un univers dans lequel les enfants se réfugient très vite, car elle donne en effet accès à tous les possibles. Je me souviens que je passais mon temps à inventer des histoires et à me déguiser. J’ai donc très vite saisi toutes les possibilités d’aller sur une scène à l’école, où je participais à différents spectacles. J’ai toujours trouvé très protecteur d’être sur un plateau, car l’on peut y être qui l’on veut, sans que cela n’ait de conséquence grave comme dans la vie normale.

Quant à votre intérêt pour la mise en scène, quand est-il apparu ? 

Plus tardivement. Au début de ma carrière, j’ai eu la chance d’avoir de nombreuses opportunités de travail en tant que comédienne au théâtre et au cinéma, ce qui monopolisait mon temps. Toutefois, j’ai eu assez rapidement l’envie de me consacrer à la direction d’acteurs. J’ai pu finalement diversifier mes activités en enseignant le théâtre ou en participant à différents jurys d’audition, ce qui, de fil en aiguille, m’a fait passer du côté de la mise en scène. 

Comment l’idée de la pièce Summer Break présentée actuellement au Théâtre du Loup vous est-elle venue ? Pouvez-vous nous raconter la genèse du projet ?

Je désirais créer un spectacle sur les auditions au théâtre, car j’ai été membre de jury d’audition à plusieurs reprises. J’ai toujours trouvé qu’il s’agissait d’une situation très violente, très théâtrale et avant tout universelle, car elle parle du regard de l’autre sur soi et de notre questionnement sur notre place dans le monde qui nous entoure. Dans la vie, nous avons tous des rôles à jouer, car la société nous pousse à entrer dans des codes définis. Les auditions sont donc le prisme ultime de cette réalité. Ensuite, j’ai également voulu réaliser un travail plus classique sur le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, à l’origine avec des élèves. En relisant la pièce, j’ai trouvé ce chef-d’oeuvre d’autant plus extraordinaire qu’il est un texte à tiroir, parlant de théâtre, d’amour, de violence, de politique, de désir, etc. Pour la pièce Summer Break, j’ai donc voulu partir d’une audition pour le Songe et, à partir de là, poser la question du regard de l’autre, du désir, du rejet, de l’inconstance. J’ai également cherché à jouer avec le spectateur, en faisant en sorte que celui-ci, lors du spectacle, ne sache pas forcément s’il fait toujours face à l’audition de quatre comédiens pour la pièce Le Songe d’une nuit d’été ou à la pièce de théâtre en elle-même.

Quelle est votre intention première avec ce spectacle ?

J’ai tout d’abord envie que le travail que nous avons fourni soit agréable à regarder, mais également qu’il y ait différents codes et niveaux de lecture de la pièce, pour qu’elle puisse porter à réflexion. J’ai également cherché à produire un mélange de techniques cinématographiques et théâtrales. L’idée d’origine est de créer un univers d’une heure, de faire un spectacle court à la manière d’un album de musique. Cette pièce prend donc la forme d’un voyage un peu étrange, à la David Lynch, dans un monde parallèle où l’on ne sait jamais vraiment où l’on est et qui l’on représente.

Quelles seraient justement vos influences artistiques pour cette pièce ?

J’ai pensé à un univers assez horrifique, où certains principes du film d’horreur seraient esquissés sans toutefois être répétés à la lettre. En effet, un film d’épouvante marche en général toujours suivant le même schéma : tout commence bien, on sait où l’on est, comme dans le cas de Summer Break où l’on retrouve au début les codes de l’audition que le public connaît déjà. Finalement, on bascule dans quelque chose qui va s’avérer aller de plus en plus mal. La musique est également clairement influencée par les films d’horreur, avec leur bande-son omniprésente. On a également penché pour une esthétique un peu hors-temps, justement comme celle des films de David Lynch, avec des règles du jeu qui changent constamment. Je voulais également que la pièce soit beaucoup inspirée des rêves et des cauchemars d’acteurs : oublier son texte, tomber amoureux ou amoureuse de son partenaire, voir son rôle inversé, être rejeté par le metteur en scène, etc.

Le texte de Shakespeare est souvent repris à la lettre dans la pièce. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce travail d’adaptation d’une pièce classique ?

Nous avons en effet repris quasiment toutes les scènes des quatre amoureux, qui représentent l’une des quatre parties de la pièce originale. De nombreux personnages du Songe ont été abandonnés, pour ne conserver au final que Démétrius, Lysandre, Hermia et Héléna, les quatre jeunes gens un peu déboussolés qui forment un drôle de quatuor amoureux. Nous avons également tenté de conserver la violence originale de la pièce ainsi que son univers forestier et enchanteur, caractérisé par une illogique absolue. Au final, toutes les intentions viennent de la pièce originale, même s’il ne reste plus du texte de Shakespeare que ces quatre personnages.

Dans cette pièce, vous jouez beaucoup sur le principe de mise en abîme, du théâtre dans le théâtre. Quand on aborde ce thème-là, n’est-il pas un peu difficile de maintenir un cap pour que le spectateur ne se perde pas ?

Nous nous sommes en effet bien pris la tête pour que le résultat final soit compréhensible et cohérent. Au fur et à mesure de la création du spectacle, nous nous sommes rendu compte qu’il ne fallait pas que nous cédions au réalisme ; il fallait donc adapter la scénographie en conséquence. Nous avons décidé de théâtraliser cette audition pour le Songe, afin que le public comprenne mieux les enjeux auxquels font face ces quatre comédiens. Nous avons également choisi d’expliquer d’emblée la trame au public par le biais de l’une des comédiennes. Celle-ci nous fait comprendre que l’histoire est un peu compliquée, qu’il n’est pas possible de tout comprendre, mais qu’il ne s’agit, au final, pas du plus important. En effet, le coeur du projet est d’appréhender les enjeux entre acteurs et personnages ainsi que les tares et les peurs de chacun. D’après les premiers retours, le public ne semble heureusement pas déboussolé par ce jeu de théâtre dans le théâtre.

Vous parliez du rôle très important de la scénographie dans votre pièce. En effet, le plateau est assez stylisé et épuré, car l’on n’y trouve que des chaises et de grands pans de verre suspendus au plafond. Pourquoi ce choix ?

Nous avons pensé à l’origine à installer de grandes boîtes en verre, de sorte à former une espèce de studio d’enregistrement. Puis, on s’est intéressé à des oeuvres d’art contemporain, constituées d’installations avec de grands pans de verre teinté. J’ai trouvé cela génial, car ce sont des espaces qui créent énormément des contraintes. Je souhaitais également placer des cadres comme au cinéma, qui soient donc comme des écrans qui permettent une mise à distance, en plus de la création de niveaux de lecture différents. Par ailleurs, les comédiens ont des micros, ce qui donne une qualité de son différente. Là encore, même si l’on entend très bien les interactions entre les personnages, cet artifice permet une nouvelle sorte de distanciation vis-à-vis du public. Nous avons donc effectué un énorme travail tant sur le son que sur l’agencement de l’espace.

La quête d’identité, tant féminine que masculine, est également un thème important de votre pièce. En quoi est-ce un sujet qui vous touche ?

En tant que comédien ou comédienne, nous avons forcément tous été confrontés à cela, car, dans le monde du théâtre, les stéréotypes sont très violents. Dans la pièce en elle-même, on peut également deviner en filigrane quelques allusions au monde d’aujourd’hui, où la société demeure assez sexiste. J’ai également voulu montrer que, pour les hommes, il n’est pas non plus toujours évident de correspondre à des stéréotypes, notamment lorsqu’il est demandé à un garçon de jouer le rôle du gars macho ou viril. J’ai souhaité mettre en avant le fait qu’il est souvent compliqué de correspondre à des schémas, tout en traitant ce thème assez lourd avec un peu de légèreté et d’humour.

Quel regard portez-vous sur cette expérience d’adaptation d’un grand texte classique ? Cela vous a-t-il donné envie de renouveler l’expérience dans le futur ?

J’aurais envie de dire que certains musiciens de jazz ont passé toute leur carrière à reprendre des standards déjà connus. En effet, quand on connaît la trame d’une histoire qui est passée à la postérité, on peut se permettre plus facilement de tourner autour, car le public va davantage accepter des tentatives audacieuses, étant donné qu’il connait la musique des grands classiques. Les textes du répertoire permettent également de poser un geste de mise en scène différent. Dans le contexte contemporain, je retiens aussi la nécessité de faire entendre ces écrits sublimes dotés d’une poésie folle. Personnellement, j’aime les textes et le théâtre au sens le plus classique du terme, c’est pourquoi je ne serais pas réticente à me relancer dans ce genre d’aventure.

Que diriez-vous pour donner envie de venir voir la pièce Summer Break ?

Après les premières représentations, j’ai pu discuter avec certaines personnes peu habituées à venir au théâtre : elle m’ont parlé d’une sensation très forte de jeu d’acteur presque cinématographique. En effet, un texte classique abordé de cette manière peut étonner, ce qui est une expérience très intéressante. De nombreux jeunes m’ont également fait remarquer que cette pièce rejoint parfois l’intrigue d’une série à la Black Mirror, avec son ambiance un peu anxiogène. J’ai été touchée qu’un tel public me dise cela, car je tiens à ce que le spectateur puisse ressentir de vraies émotions, qu’une pièce le fasse réfléchir quant à sa propre vie et au monde qui l’entoure.

Toutes le infos : Théâtre du Loup

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